Ses Débuts


Un jour, en compagnie de quelques amis, il investit toutes ses économies dans l'achat d'un billet de bateau pour Nice. L'escapade fut brève mais le souvenir n'allait pas s'effacer de sitôt !

Durant l'été, les grands cafés d'Ajaccio et leurs orchestres attiraient du monde. Tino a vingt ans. Il ne tarde pas à tomber amoureux d'une jeune violoniste : Annie. Malgré le désarroi de ses parents, il la suivit sur le Continent.

Les engagements d'Annie obligeaient le couple à changer très souvent de ville.

Mais, l'âge du service militaire était arrivé et Tino dû rejoindre le 22ème régiment de Chasseurs Alpins à Menton. Il tuait le temps en chantant pour ses camarades de chambrée.

Après les obligations militaires, il retrouva Annie et eut avec elle une fille : Pierrette... Mais quelque temps après, le ménage se sépara définitivement tandis que Tino était de retour dans sa ville natale

 


A son retour, pas de reproches des parents qui l'aidèrent à trouver un emploi. Tino entre au Casino d'Ajaccio comme changeur. C'est là qu'il fit la connaissance de la secrétaire du Directeur avec qui il repartit sur le continent dans l'espoir de trouver une place au Casino d'Aix-en-Provence. Dans l'attente, ils s'installèrent à Marseille. Ces mois passés dans la cité phocéenne comptèrent parmi les plus durs de l'existence de Tino.

Logeant dans un modeste appartement, il exerca tous les métiers du monde pour tenter de survivre. Heureusement qu'il y avait les films de Pagnol - dont il devint un de ses meilleurs amis - pour lui faire oublier la misère.

L'engagement au Casino d'Aix n'était pas au rendez-vous mais Tino resta dans la région, plus précisément à Aix. Tino ne pensait qu'à chanter, encouragé en ce sens par une basse de l'Opéra qui lui conseilla de travailler sa voix et de maîtriser sa respiration.

Mais c'est une autre rencontre qui va décider de la carrière du jeune Tino Rossi : M. Vadon, un pianiste aixois. Ce dernier lui proposa de l'emmener au casino et de le présenter à un certain Petit Louis...

Petit Louis, personnage jovial d'environ la trentaine sympatisa rapidement avec Tino. C'était un tourneur : quelqu'un qui organisait des spectalcles dans les villages environnant. Il demanda d'écouter Tino.

Ce dernier, fort ravi, lui interprêta son répertoire habituel : berceuses, chansons corses, ritournelles à la mode, et... des grands airs d'Opéra. Félicitations de Petit Louis qui lui dit que sa carrière n'est pas à l'Opéra mais que sa voix et son physique l'attirent tout naturellement vers le music-hall. Enfin... Tino fit partie des joyeuses tournées de P. L.

Celui que la publicité appellait "Le Roi des Chanteurs de Charme" débuta à Lauris, en smoking s'il-vous-plaît. Le public, composé de paysans, n'était pas des plus faciles. Il se jeta à l'eau et chanta : "Souviens-toi" et "La Romance de Maître Pathelin". La partie était gagnée, le public conquis... mais pour ce soir seulement.

Tous les samedi, il remetait un jeu sa réputation devant un nouveau public.

Les condictions de travail étaient mauvaises et de plus les tournées n'enrichissaient personne !

Mais c'était là un excellent moyen d'apprendre ce métier, d'affirmer ses qualités et d'acquérir la maîtrise de soi.

Pour les fêtes de fin d'année, Petit Louis a mis en scène "La Pastorale des Bergers". Les représentations se donnèrent au Théâtre Municipal d'Aix. Tino avait le rôle du berger et chantait le cél-bre VENI D'OOUSI, enregistré sur disque en 34. Mais c'est dans les années 60 qu'il enregistra l'intégralité de cette pastorale en compagnie de son ami Fernand Sardou.



Revenons en 32. Les succès locaux se succèdent... mais Tino rêve de grimper plus haut... Il rêve plus particulièrement de se produire à l'Alcazar, à Marseille où est concentré le public le plus "dur" de France.

Tino descend à Marseille, non pas pour chanter à l'Alcazar mais pour accueillir son père à La Joliette (le port) qui arrive d'Ajaccio. Cela fait en effet bien longtemps que les deux hommes ne se sont pas vus. Et le père questionne le fils-vedette sur son "métier".

Toujours avec son père, en passant rue Saint Férréol, Tino remarqua une affiche placardée à la devanture d'un disquaire.

Il y était inscrit : "Enregistrez votre voix pour cinq francs."

Vous savez, 5 francs, c'était une somme pour l'époque (la moitié de son cachet avec Petit Louis). Le propriétaire du magasin - Monsieur Mossé (Tino n'a jamais oublié ce nom, il faut dire que cela ne s'oublie pas !), après lui avoir expliqué le fonctionnement de la cabine le fit enregistrer. Tino interprêta : "Aiacciu Bellu" et "Souviens toi" a cappella. Quelle belle preuve d'amour filial si son père offrait ce disque à sa mère en retrouvant Ajaccio. C'est ce qu'il fit.

Vingt ans plus tard, Elvis Presley fit de même.

Une autre personne se trouvait chez le disquaire quand Tino enregistrait. Interressé, il écoute l'enregistrement et dit à Tino : "Laissez-moi votre adresse, nous vous écrirons pour vous convoquer à Paris".

Tino n'y croyait qu'à moitié... Il fit ses adieux à son père - qui rejoignait la cité impériale - et rentra à Aix. Les semaines passèrent... et puis un jour, arriva un courrier : un engagement pour enregistrer des disques à Paris !



Dès son arrivée à Paris, Tino prit rendez-vous avec le directeur de Parlophone et se mit ensuite à chercher des partitions de chansons mais aussi un accompagnateur, un guitariste qui accepterait de jouer pour lui, pour ce jeune chanteur corse inconnu. Il trouva un vieux Napolitain à Montmartre avec lequel il se rendit à la maison Parlophone après avoir répété "O Ciuciarella" et "Ninni Nanna". Il revint à Aix triomphalement avec un exemplaire de "son" disque.

Puis, grâce à Petit Louis, Tino pu se produire à l'Alcazar - accueil favorable du public - puis au Théâtre des Variétés.

Ensuite, il entama une tournée en compagnie de Berthe Sylva et de Fred Gouin.

Tous les Corses voulait posséder le 78 tours de leur compatriote enregistré à Paris en décembre 32. Les files s'allongeaient devaNt les disquaires de l'Île de Beauté...

Résultat : l'attention d'un représentant de Columbia attiré par ce succès se concrétisa en une proposition de son directeur, Jean Bérard, qui fut transmise à Tino.

Tino se rendit donc une nouvelle fois à Paris.

Mais Parlophone ne voulait pas perdre son poulain et lui fit une contre-proposition alléchante.

Mais Tino opta, avec le bons sens qui le caractérisera tout au long de sa vie, pour la société Columbia qui lui offrait moins mais qui était une maison plus jeune. Il enregistrera en 33 quelques mélodies corses et quelques "refrains chantés" aux cotés des orchestres de Pesanti ou d'Orlando.

Tino vit maintenant à Paris. Sur scène, il peut déjà juger de l'effet produit par sa voix et son physique sur les jeunes femmes du public.


M. Bérard est pleinement satisfait de sa nouvelle recrue et demande à Tino de participer à la tournée Columbia dans les grandes villes de France en compagnie de Gilles & Julien, Damia... Cette dernière, grande tragédienne de la chanson, lui donna de précieux conseils sur l'attitude scénique à adopter car Tino faisait alors trop de gestes car il voulait être à la mode en prenant modèle sur Maurice Chevalier ou Mistinguett par exemple. Elle lui apprit à bouger le moins possible sauf pour souligner un mot ou un sentiment, enseignement que n'oubliera jamais Tino.

Tino développe son répertoire, et interprète ce qui sera son premier grand succès, LE TANGO DE MARILOU.

Grâce à Gilles & Julien, Tino sera vite convoqué par Mitty Goldin, le directeur de l'ABC, pour faire partie du nouveau spectacle prévu pour l'été 34. Le public de l'ABC s'avéra très sympathique pour Tino, mais ne parlons pas encore de triomphe. Son répertoire ne convenait pas encore à sa personnaltié.

Sa tenue vestimentaire très stricte ne collait pas à l'image que les Parisiens avaient d'un Corse. Détails, rapidement réglés avec son engagement au Casino de Paris en 34.

Pendant l'année 34, Tino enregistre une bonne trentaine de chansons. Tino, à la fin du programme de l'ABC, dédicace les 78 tours que Jean Bérard lui apporte par piles !

Tino commence a faire de discrètes apparitions au cinéma. Les radios commencent quant à elles à le diffuser.

Henri Varna, directeur du Casino de Paris de l'époque, s'apprêter à monter la revue "Parade de France". Il s'agissait d'évoquer les différentes régions françaises mais aussi les colonies. Chaque région était représentée par un chanteur "floklorique" mais l'embarras de Varna fut grand lorsque le moment était venu d'engager quelqu'un qui représenterait la Corse.

Marc Cab, un librettiste très connu à l'époque et futur collaborateur de Tino dans deux opérettes "Naples au baiser de feu" et "Le temps des guitares" se souvint de Tino et le proposa à Varna qui le convoqua aussitôt.

Sur les conseils de Jean Bérard, et de ses deux imprésarios : Audiffred et F. Marouani, et malgré que le cachet n'était pas très élevé Tino accepta.

Mais pour ce tableau corse, les chansons corses traditionnelles ne suffisaient pas à Tino qui voulait quelque chose de nouveau et d'éclatant. Il voulait des chansons faîtes pour lui... C'est alors qu'il se souvint de Vincent Scotto.

Il l'avait rencontré à Lyon pendant la tournée Columbia. Tino lui apporta les 78 qu'il avait enregistré pour que Scotto étudie toutes les possibilités de sa voix. Quelques jours plus tard, Scotto lui présenta "Vieni, Vieni"

Sitôt la chanson achevée, il exliqua à notre chanteur de charme qu'il fallait également un hymne à la gloire de son pays, de sa beauté et de ses paysages. Les doigts cherchèrent les notes, des sons et des paroles virent le jour :

"O Corse, île d'amour, pays où j'ai vu le jour, j'aime tes frais rivages et ta beauté sauvage, j'ai vu des lieux enchanteurs..."

Un immortel succès était né en quelques minutes... mais aussi une longue amitié qui devait durer jusqu'en 52, année de la mort du compositeur.

Août 34 : début des répétitions pour le spectacle au Casino de Paris. Tino était toujours tourmenté par sa tenue vestimentaire ! Enfermé dans sa chambre, Tino esquisse sa tenue : une chemise et un pantalon bouffant, des bottes de gauchos, une veste négligemment jetée l'épaule et un foulard rouge, sans oublier la guitare, symbole de la musique et de la Méditerrannée.

C'est au cours d'une de ces répétitions que Scotto vint chercher Tino pour le présenter à son ami Marcel Pagnol. Le dramaturge lui demanda de chanter les deux nouvelles chansons de Scotto. Pagnol lui prédit le plus bel avenir !

En plus d'un admirateur Tino avait également rencontré en Pagnol en de ses amis les plus chers.

L'amitié de Scotto se manifesta dans toutes les chansons qu'il écrivit pour Tino, toutes les heures qu'il passa avec lui en répétitions. Mais le compositeur était un être exclusif et intransigeant qui ne voulait pas voir Tino chanter les chansons des autres, alors que lui ne voulait pas composer uniquement pour Tino !

Les quelques orages, vites oubliés, vinrent ponctuer leurs 18 années de relations !

Pagnol, Scotto : deux êtres chers dans le coeur de Tino réunis dans une même oeuvre : le film de Pagnol "Joffroi" dans lequel Scotto incarne un grincheux plein de mauvaise foi.

Tel était cet homme extraordinaire, auteur de 4000 mélodies, qui, comme le dit Pagnol lors de l'inauguration de son buste à Marseille, "n'a jamais fait de peine à personne, sauf le jour de sa mort."

Scotto avait dit un jour à Tino : "Si tu veux durer et réussir, chante l'amour !" Car l'amour rime avec toujours.

Revenons aux préparatifs de la soirée du 14 octobre 34. Le personnel, machinistes, décorateurs, habilleuses, les musiciens et les artistes, les girls, les chanteurs sont nerveux. Le directeur vérifie tout. Mais cette soirée va être capitable pour Tino qui sait, au plus profond de lui-même, que de cette soirée va dépendre toute sa carrière et toute sa vie.

Les premiers tableaux se succèdent. Le public est celui des grands jours. Le tour de la Corse arrive. Auddifred encourage Tino. L'orchestre attaque. Tino entre alors sur scène, aveuglé par les projecteurs. Il entonne "Vieni Vieni" puis enchaîne sur "O Corse île d'amour" tandis que des danseuses costumées en paysannes du maquis évoluent autour de lui.

A la fin de ses deux chansons, quelques secondes de profond silence... puis... un TONNERRE d'applaudissements. Les hommes sont debouts, les femmes pleurent, déjà elles l'adorent...

Après le tableau corse, Tino reviendra sur scène dans le tableau africain et c'est en tout cinq chansons qu'il interprètera en ce 14 octobre parisien

...Ce soir-là, est né le grand TINO ROSSI !